Boards Of Canada - Tomorrow's Harvest

Publié le 11 Juin 2013

Eté 2011... Fort de Saint-Père prés de Saint-Malo... Route Du Rock d’été... Une montée de nostalgie m’envahit face à ce retour de sauvagerie brute et poétique que nous assène Richard D.James alias Aphex Twin lors d’un set magistral.

Le public se clairsème face à ce revenant qui nous prouve avec force et violence qu’il bouge encore et qu’il est bien vivant, en pleine possession de ses envies de créateur...

Ce soir-là, je me prends à rêver à un retour discographique de Boards Of Canada, autres artistes affiliés à l’exigeant label Warp... Nous sommes en 2011 et le duo écossais n’a rien sorti depuis le mini-album "Trans Canada Highway" en 2006, une éternité...

Je me plais à me rappeler l’apport de l’Ecosse à la chose musicale, d’Alexander Mackenzie à Robert Carver, d’Aztec Camera à The Blue Nile, de Jesus And The Mary Chain à The Pastels... Et Boards Of Canada qui fait partie de cette histoire avec des albums indispensables, certes pas toujours faciles à apprivoiser mais foisonnants pour qui se laisse porter et emporter...

Boards Of Canada nous a toujours habitué à la rareté, à l’excellence. Mais le plus endurci des passionnés de leur musique s’était fait une raison et se croyait à jamais orphelin d’une Ambient exigeante et atmosphérique, poétique et abstraite. Il y a quelques mois,il y eut ces rumeurs sur les réseaux sociaux de nouveaux titres, ce fameux EP lors du Disquaire Day avec ces codes étranges qui renvoyaient à l’annonce sybilline et mystérieuse d’un nouvel album à paraître en juin 2013, "Tomorrow’s Harvest".

Enfin, il y eut cette vidéo, "Reach For The Dead" qui reveilla tous les espoirs et aiguisa nos envies... Cette vidéo avec ces espaces ouverts et ces lieux clos comme des symboles de nos angoisses enfouies. Il y a ces lumières qui nous guident dans un entre-monde à la fois inquiétant et accueillant, comme ce mourant qui s’accroche à la vie mais que cette pleine lumière apaisante attire comme du fer tend vers l’aimant... Nos repères s’effritent, nous sommes comme submergés par ces lumières aveuglantes en fin de parcours...

C’est donc avec plus qu’un sentiment d’impatience que je lancais sur mon vieil ordinateur ronronnant ce premier titre, "Gemini", toute en dissonance qui campe des les premières .notes les tracés d’un univers ample et pourtant comme enfermé, cloisonné, comme claustrophobique et haletant.

Puis vient le fameux "Reach For The Dead", déjà cité plus haut, somptueuse mise en images musicales, somptueuse sublimation de nos inquiétudes tues....

"White Cyclosa" nous renvoie vers ces terres d’enfances dérangées, déja parcourues dans "Music Has Right To Children" ou "Geogaddi"... C’est dissonant et plein d’un desespoir qui n’ose pas s’affirmer mais que l’on sent là, tapi et prêt à nous saisir....

"Jacquard Causeway" se rapproche du très beau "Oversteps" d’Autechre, autre machine électronique poétique qui aida d’ailleurs en son temps Boards Of Canada à intégrer Warp par le soutien indéfectible de Rob Brown et Sean Booth. Le morceau prend son envol doucement et nous noie dans une torpeur inconfortable.

Il y a cette voix métallique qui égrène des chiffres dans "Telepath" comme une séance d’hypnose qui virerait mal.

"Cold Earth" nous ramène au meilleur du "Low" de David Bowie, autre revenant de cette année 2013 riche en retrouvailles...

Savez-vous ce qu’est l’hantologie ? Mot barbare, savant, énigmatique, abstrait, ésotérique me direz-vous... Pas tant que ça à l’écoute de la musique des Boards Of Canada qui se réclament d’ailleurs de cette fameuse hantologie...

Cette fameuse hantologie, théorie initiée par Derrida,ce n’est rien de plus que l’expression d’oeuvres prenant pour racine des traces culturelles du passé, comme des empreintes invisibles qui permettent aux fantômes d’époques révolues de s’exprimer, de remonter à la surface, de s’affirmer dans notre modernité.

Il en est ainsi de Leyland Kirby et de son projet "The Caretaker" plus particulièrement, autre faiseur de belles pièces musicales qui semblent convoquer les Ballrooms des années 30, ou encore Ariel Pink et Boards Of Canada bien sûr... On ressent l’apport hantologique sur "Transmisiones Ferox" et ses tonalités analogiques comme sorties d’un vieux Popol Vuh ou Tangerine Dream au son craquant.

"Sick Times" décline sa mélodie malade avec ces voix mélées, indiscibles,hantées. Avec "Collapse", nous perdons nos perspectives avec ce décor en perpétuel érosion qui ne parvient pas à choisir entre des ascensions verticales et des chutes horizontales.C’est comme un dédale qui se cherche.

"Palace Cosy" nous transporte dans une fausse impression de légereté qui se joue de nous et qui est vite détrompée par l’atonalité de l’ensemble, comme une comptine désaccordée pour enfants perdus...

"Split Your Infinities" est ce morceau que l’on attend, celui d’une quiétude tranquille.. C’est comme un voyage de 4 minutes 28 qui nous fait vivre toutes les facettes des sentiments à travers un prisme déformant mais rassurant.

Le répit est de courte durée.La noirceur nous attaque à nouveau avec le minimal "Uritual" tout en boucles obsessionnelles qui referme l’espace sur nous.

"Nothing Is Real" sonne comme un manifeste étrange avec cette voix comme égarée et organique dans cet univers cérébral, abstrait .

Avec "Sundown", nous voyons le soleil se coucher pour la dernière fois et nous le savons avec cette assurance comme une conjugaison du désespoir. Nous savons que nous entrons dans une nuit qui ne s’arrêtera plus. Nous savons que nous aurons pour compagnons de voyage les ombres et l’obscurité. "New Seeds" nous présente ces nouveaux amis nocturnes, cette étrange union entre nos terreurs enfantines et nos déambulations imaginaires.

"Come To Dust" remet les choses en perspective, marque notre finitude en jalon d’un aprés en attente, en gestation, notre état de perpétuel enfant tremblant face au destin. Un des sommets de "Tomorrow’s Harvest" assurément !!!!

Peu de place pour la lumière ou alors de ces lumières aveuglantes qui brûlent et réduisent les contours à peu de choses, à presque rien... "Semena Mertvykh",qui clot ce voyage,ressemble à s’y méprendre à un inédit d’Angelo Badalamenti. Les spectres s’effacent petit à petit, la lumière s’estompe et petit à petit,il n’y a plus rien,tout juste des stases lumineuses,puis plus rien,le noir et... nous... Juste nous comme saisis dans une immobilité fragile qu’on ne veut pas gâcher...

2013 sera sans aucun doute l’année des retrouvailles souvent attendues,parfois inespérées... Il y eut le retour d’un Bowie en demie-teinte qui ne parvient pas à convaincre complètement, d’un My Bloody Valentine anachronique mais bienvenu et celui de Boards Of Canada qui nous rappelle ô combien les musiques de Labradford, Gastr Del Sol,Mark Hollis,Stars of the lid,Aphex Twin,Tim Hecker et les écossais de Warp nous sont précieuses...

D’ailleurs savez-vous ce que signifie "Warp" ? Il y a deux hypothèses , la première, "Weird And Radical Projects, la seconde, "We Are Reasonable People". En 2013, Boards Of Canada sort un album somptueux et exigeant comme un pied de nez honorable et malicieux à des machines commerciales comme Daft Punk.

Michael Sandison et Marcus Eoin sont des gens raisonnables qui proposent des projets étranges et radicaux et c’est tant mieux car on ne se priverait pas d’aller s’aventurer dans des voyages tortueux et saisissants comme ce "Tomorrow’s Harvest",comme une promesse tenue de belles moissons du lendemain que nous garderons en nous comme des miroirs révélateurs de nos intérieurs...

Rédigé par Greg Bod

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